Entretien avec Marie Descourtieux, Annie Kurkdjian & Christophe Dabitch - Le Four à Pain
Fondé en 2024 par Marie Descourtieux, Le Four à Pain est un lieu de résidence niché sur le Causse Méjean, pensé comme un refuge pour les écrivains, plasticiens et artistes visuels en quête de silence, de temps long, et de lien avec le territoire. Ce lieu à taille humaine accueille des créateurs venus de champs disciplinaires variés, pour des séjours nourris par la solitude volontaire, le travail en immersion et une nature puissante.
Trois artistes aux trajectoires singulières y seront accueillis :
Annie Kurkdjian, peintre d’origine arménienne,
Christophe Dabitch, écrivain et bédéiste français,
Violaine Schwartz, comédienne, chanteuse et auteure française.
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Marie, vous avez imaginé le Four à Pain comme un refuge de création. Qu’est-ce qui a inspiré ce modèle et en quoi le lieu influe-t-il sur la manière dont les artistes travaillent ?
Marie Descourtieux :
“Rien ne m’a influencée. Je ne considère pas que ce soit un modèle et je n’en avais d’ailleurs pas en tête. C’est une envie très personnelle, à ce moment de ma vie, de poser le temps qui me reste tout en gardant un lien avec la création.
Je n’imaginais pas habiter une maison sans une possibilité de partage avec des artistes. J’accompagne la création depuis 45 ans, et je voulais continuer, mais de façon simple et directe, à soutenir modestement, puisque le lieu n’accueille que deux artistes maximum en même temps la création contemporaine.
Quant à l’influence du lieu, je crois que c’est aux artistes de le dire. Les retours que j’ai, c’est que le Four à Pain est un espace fécond pour la création, chacun à son rythme, chacun à sa manière.”
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Le lien avec le territoire vous semble essentiel. Comment accompagnez-vous les résidents dans ce dialogue entre retrait, nature et rencontre ?
Marie Descourtieux :
“Je n’ai aucune idée préconçue, ni sur le rythme ni sur la forme de la création. Chaque résidence est cousue sur mesure selon la singularité de l’artiste accueilli. Certains ont besoin de rencontres avec le public, d’autres de silence et de retrait.
À chaque arrivée, j’organise un apéritif, il y a 18 habitants à Caussignac. Cela me paraît essentiel : nous sommes « chez eux ». Je crée du lien toute l’année, et ensuite, selon les besoins de l’artiste, nous adaptons la fréquence des rencontres.”
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Après avoir dirigé de grandes institutions et produit de nombreux événements, en quoi la création du Four à Pain s’imposait-elle dans votre parcours ?
Marie Descourtieux :
“J’ai dirigé de grandes institutions, mais je n’en ai plus le désir. Aujourd’hui, je choisis une vie dans la nature, dans une forme de solitude que j’apprécie. Je ne suis pas isolée : je suis reliée aux habitants du Causse Méjean.
Il m’était indispensable de garder un lien avec la création, mais je ne voulais plus d’une « usine à gaz ». Je souhaitais quelque chose à taille humaine, au plus près de moi-même et des artistes.”
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Pourquoi avoir sollicité le Fonds de dotation Francis Kurkdjian pour vos bourses de résidence ?
Marie Descourtieux :
“Pour être transparente, ce sont deux personnes Alain Lardet et Monia Triki, membres de votre comité qui m’ont conseillé de déposer un dossier. Ils connaissent mon parcours, avaient suivi le projet du Four à Pain, et ont pensé que sa singularité pouvait intéresser le Fonds.”
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Annie, Christophe, qu’est-ce qui vous a motivés à venir en résidence au Four à Pain ? Qu’y cherchiez-vous dans votre processus de création ?
Annie Kurkdjian :
“Je vis à Beyrouth. Quand j’ai été invitée, c’était juste après une période de guerre au Liban. Venir ici, en février, a été comme une bouffée d’oxygène : le contraste entre ce que je vivais et ce lieu calme, en pleine nature.
J’ai déjà participé à d’autres résidences, dont une très productive à La Rochelle. Mais ici, l’isolement relatif, le silence, la nature… tout cela correspondait parfaitement à mon besoin pour créer.”
Christophe Dabitch :
“J’ai d’abord échangé au téléphone avec Marie, et le projet m’a tout de suite intéressé. Je connaissais le Causse Méjean, où j’avais déjà séjourné. C’est un lieu qui m’inspire beaucoup.
J’étais en train de travailler sur une bande dessinée autour du témoignage d’un survivant du génocide des Tutsis au Rwanda. Pour ce projet, j’avais besoin d’isolement, de me couper du quotidien et de me consacrer entièrement à l’écriture.
Au Four à Pain, j’ai trouvé la concentration nécessaire. La résidence m’a permis d’achever une première version du livre. L’accueil de Marie a aussi beaucoup compté : elle connaît parfaitement les besoins des artistes, sait être discrète et attentive. Il y a une dimension humaine qui rend ce lieu unique.”
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : En quoi ce type de résidence modifie-t-il votre rapport au temps et à votre pratique habituelle ?
Christophe Dabitch :
“À Bordeaux, mon temps est fragmenté entre l’écriture, des ateliers, des collaborations… Ici, il n’y a plus de dispersion : tout est concentré sur un seul projet. Cela change profondément la manière de travailler.
De plus, le regard bienveillant de Marie, ses retours, créent un climat qui donne de la force et du sens à ce que l’on entreprend.”
Annie Kurkdjian :
“Ici, on ne fait que son art, du matin au soir. On s’organise autrement, mieux. Et le regard de Marie, son retour discret mais précieux, donnent confiance.”
Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Qu’aimeriez-vous que les habitants retiennent de votre passage ?
Annie Kurkdjian :
“L’expérience a été marquante, intime et chaleureuse, notamment lors des apéritifs organisés par Marie. Les habitants ont été accueillants, et je garderai en mémoire ces échanges humains et la beauté du lieu.”
Christophe Dabitch :
“Pour moi, ce sont les liens humains et les discussions qui comptent. Ces échanges laissent des traces, et peut-être aboutiront-ils à d’autres collaborations. Par exemple, Marie a provoqué notre rencontre avec Annie, et nous commençons à travailler ensemble sur un projet de bande dessinée. J’aimerais revenir partager ce travail une fois le livre abouti.”
Marie Descourtieux :
“Il serait intéressant d’imaginer une double résidence pour Annie et Christophe, afin de travailler ensemble sur ce projet. Cela pourrait donner lieu à une demande de soutien spécifique auprès du Fonds de dotation.”
Annie Kurkdjian :
“Ce projet, je le porte depuis plusieurs années. C’est une bande dessinée inspirée de l’assassinat de mon père, joaillier, en 1985. J’ai mené une enquête qui m’a conduite jusqu’à Vienne, où un procès aura lieu en octobre prochain.
J’ai tenté d’écrire seule, mais le scénario manquait de solidité. Je souhaite réaliser les dessins moi-même, car c’est une histoire profondément intime. Christophe pourrait m’apporter son expérience en écriture et en narration. Nous avons déjà échangé à distance, mais il nous faut un temps de travail commun pour avancer.”