Entretien avec Olivier Bouley, co-fondateur et directeur artistique des Pianissimes

1 décembre 2025
Les Pianissimes

Depuis près de vingt ans, Les Pianissimes se donnent pour mission de révéler de jeunes talents du piano, de renouveler le format du concert classique et d’en faire une expérience conviviale, vivante et accessible à tous. Avec plus de vingt concerts par an, une présence entre Paris et la région lyonnaise, un important travail de médiation scolaire et une relation privilégiée avec le public, Les Pianissimes s’imposent aujourd’hui comme un acteur majeur de la diffusion du répertoire classique et du soutien aux artistes émergents.

Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Vous avez créé Les Pianissimes avec la volonté de désacraliser le concert classique. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie dans votre programmation et votre manière d’accueillir le public ?

Olivier Bouley : “Effectivement, lorsque nous avons fondé Les Pianissimes il y a vingt ans, nous étions un groupe de passionnés de musique classique. Les statistiques publiées par le ministère de la Culture montraient et montrent toujours un vieillissement du public et un désintérêt croissant des jeunes générations. Nous avons voulu comprendre pourquoi.

Le classique s’était peu à peu enfermé dans une forme d’élitisme, avec des codes figés, un certain cérémonial qui devenait intimidant pour le public, particulièrement pour les jeunes. À cela s’ajoutaient d’autres facteurs : une moindre présence dans l’Éducation nationale, dans les médias généralistes, et des plateformes de streaming dont les algorithmes, guidés par l’intelligence artificielle, favorisent rarement le classique.

Nous avons donc voulu réagir de manière dynamique, presque comme un devoir civique, en "desserrant l’étau" du concert traditionnel et en réinventant le format.
Cela s’est traduit par une série de choix qui, mis bout à bout, ont créé l’identité singulière et le succès des Pianissimes.

D’abord, la programmation : le récital de piano classique reste central, avec de jeunes artistes, mais nous ouvrons régulièrement la scène à d’autres répertoires et disciplines. Cela peut être du jazz, de la comédie musicale, un concert avec un récitant, un comédien, un danseur… Cette année, par exemple, nous proposons à la Scala un spectacle réunissant un pianiste et un claquettiste autour d’un répertoire jazz et musical. Le piano est toujours présent, mais nous montrons que nous ne sommes pas enfermés dans une tour d’ivoire. Cela permet de croiser les publics : certains viennent pour le jazz ou la comédie musicale, découvrent Les Pianissimes et finissent par s’ouvrir au classique.

Ensuite, l’accueil. Notre équipe est essentiellement composée de bénévoles, ce qui crée une atmosphère conviviale et festive, un esprit très “festival”. Ayant commencé en région lyonnaise par la création d’un festival, nous avons voulu importer à Paris cette chaleur que nous ne retrouvions pas toujours dans la capitale, où tout peut paraître plus sérieux, plus figé.

Nous proposons aussi une interview sur scène de l’artiste : cela crée un lien direct avec le public et offre des clés d’écoute accessibles à tous, car notre public n’est pas uniquement constitué de mélomanes avertis. Beaucoup sont simplement curieux de culture.

Enfin, détail important : au lieu d’un entracte où chacun tourne en rond, nous organisons un after ouvert à tous. Chacun peut prendre un verre, discuter, échanger à chaud, rencontrer l’artiste sans filtre, sans table de dédicaces froide et impersonnelle.
Tous ces éléments réunis ont permis de rajeunir et renouveler largement le public.”


Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Comment repérez-vous les jeunes artistes que vous programmez ? Quelles qualités, artistiques ou humaines, vous touchent particulièrement ?

Olivier Bouley : “C’est l’une de mes missions principales : repérer les talents. Nous programmons des artistes très jeunes, entre environ 17 et 28 ans, souvent encore en études mais déjà excellents.

Un premier critère est leur formation : ils viennent d’écoles d'élite, le Conservatoire de Paris ou de Lyon, ou de grandes institutions internationales. Cela garantit un niveau technique exceptionnel.

Mais ce qui compte tout autant, c’est le coup de cœur : l’émotion qu’ils transmettent, leur intensité, leur musicalité, leur charisme sur scène.

Les qualités humaines sont également essentielles. Aujourd’hui, un artiste ne vit plus dans une tour d’ivoire. Il doit aller dans les médias, être présent sur les réseaux sociaux, parler au public. Nous cherchons donc des musiciens capables et désireux de communiquer, et suffisamment forts pour affronter un milieu extrêmement compétitif.
C’est un équilibre rare : grande sensibilité artistique d’un côté, force de caractère de l’autre.

Enfin, il faut une affinité mutuelle. Nous ne faisons pas qu’organiser un concert : nous accompagnons les artistes, répondons à leurs questions, les mettons en relation avec des labels, des programmateurs… Il faut avoir envie de travailler ensemble.

Pour les repérer, je me rends régulièrement aux auditions des conservatoires de Paris et Lyon, dans de nombreux concours français et internationaux (Long-Thibaud, Reine-Élisabeth à Bruxelles, Concours Chopin à Varsovie…), à des concerts privés, et j’écoute les recommandations de mélomanes, de journalistes, ou d’autres musiciens.

On découvre ainsi des jeunes absolument extraordinaires que nous sommes souvent les premiers à produire et à faire connaitre, avant qu’ils ne deviennent plus connus

Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Les afters occupent une place importante dans vos concerts. Avez-vous des souvenirs marquants issus de ces moments d’échange ?

Olivier Bouley : “Oui, beaucoup ! Nous faisons partie des rares structures à inviter l’ensemble du public (et non quelques happy few), parfois 400 personnes, à un after. L’after de nos vingt ans fut un moment particulièrement fort : champagne pour tous, grand gâteau partagé avec le public, et une douzaine d’artistes programmés depuis vingt ans qui sont venus spontanément célébrer avec nous. Le public reconnaissait certains d’entre eux, aujourd’hui célèbres, mais qu’ils avaient découverts chez nous à 17 ans. C’était émouvant, et précieux pour toute l’équipe.

Il y a aussi des souvenirs liés aux rencontres professionnelles qu’engendrent ces afters. Nous invitons systématiquement des journalistes, des agents, des labels, des organisateurs… Des relations se créent, parfois décisives. Je pense notamment au pianiste Jean-Baptiste Doulcet : je l’avais repéré au Concours Long-Thibaud. Après son concert chez nous, une mécène a pris la parole devant toute la salle pour lui proposer de financer son premier disque. Ils se sont parlé longuement, le disque a été enregistré, présenté au label Mirare, puis Jean-Baptiste a été invité aux Folles Journées et à La Roque-d’Anthéron. Il est aujourd’hui largement reconnu.
Ce sont des moments mémorables.”


Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Vos ateliers de médiation en milieu scolaire touchent des enfants souvent éloignés du classique. Quels retours avez-vous de leur part ?

Olivier Bouley : “Ces ateliers sont essentiels. Nous intervenons auprès d’élèves du CE1 au CM2 des enfants qui n’ont aucun préjugé et souvent jamais entendu un concert classique live. C’est à cet âge que tout se joue, que l’on plante des graines. Personnellement, si je n’avais pas été emmené au concert enfant, je ne serais pas ici aujourd’hui.

Nous travaillons en petits groupes, pour favoriser l’interaction. Les enseignants préparent les élèves en amont pendant plusieurs semaines grâce à un dossier pédagogique que nous fournissons : extraits d’œuvres, pistes de réflexion, idées de chorégraphies, chansons, questions…

Le jour de l’atelier, les enfants arrivent déjà concentrés. C’est vivant, intense, touchant. À la fin, nous leur proposons que certains viennent jouer un morceau sur le Steinway. Et cela déclenche souvent des vocations : des enfants demandent ensuite à leurs parents de commencer le piano ou le violoncelle par exemple. Certains reviennent nous voir un an plus tard, ou les parents nous écrivent pour dire : « C’est grâce à vous s’il a commencé un instrument ».

Les enseignants, eux aussi, reviennent chaque année : c’est un projet riche, motivant, très valorisant pour leurs classes.”


Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Vous êtes producteur de concerts, directeur artistique et entrepreneur culturel. Comment conciliez-vous ces différentes casquettes ?

Olivier Bouley : “J’ai eu plusieurs vies professionnelles, mais successivement plutôt qu’en parallèle. J’ai longtemps travaillé dans de grandes entreprises, chez Apple aux États-Unis, chez Accor en Angleterre et à Paris. La musique est restée ma passion, et comme j’avais réussi ma carrière en entreprise, j’ai pu prendre le risque de basculer dans le monde culturel et de fonder une association.

Au début, avec Catherine Alexandre, nous pensions devenir agents artistiques. Mais ce métier, essentiel mais ingrat, dépend trop du bon vouloir des programmateurs. Nous avons donc évolué vers la production de concerts, pour choisir nous-mêmes une trentaine d’artistes chaque année. Depuis vingt ans, je me consacre exclusivement à ce rôle, volontairement, pour conserver une indépendance totale. Je ne veux pas être label ou agent, sinon j’en viendrais forcément à privilégier mes artistes. Je veux que seul le critère artistique guide notre programmation.”


Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Quels sont vos projets pour les prochaines saisons des Pianissimes ? De nouveaux formats, lieux ou collaborations ?

Olivier Bouley : “Oui, nous avons plusieurs pistes : renforcer les ateliers pédagogiques, notamment dans des quartiers moins favorisés. Toucher davantage les adolescents, via des partenariats comme celui que nous avons avec l’Internat d’excellence Jean-Zay, et un accès réservé à certaines répétitions. Moderniser la scénographie, par la lumière ou d’autres éléments immersifs. Multiplier les lieux atypiques : après le Théâtre Récamier rénové, nous investissons un atelier de maître verrier sur la rive gauche et l’atrium d’une école préparatoire sur la rive droite. L’idée est de sortir la musique de ses lieux habituels. Enfin, un projet un peu fou : raconter l’histoire de la musique en deux heures en utilisant un piano sur scène et des vidéos de concert illustrant des chefs d’oeuvre à travers les siècles, en s’inspirant un peu du spectacle qui tourne actuellement consacré à l’histoire de la peinture. Ce serait un moyen idéal pour sensibiliser davantage les jeunes au classique, de façon ludique, moderne et captivante.

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