Interview de Guillaume Siard

5 avril 2024
Rencontre des ballets juniors européens

Directeur de la pédagogie du Ballet Preljocaj, Guillaume Siard répond à nos questions sur la première édition des Rencontres des ballets juniors européens qui s’est déroulée en mars 2024.

Fonds de dotation Francis Kurkdjian : En quoi un tel évènement est important ?

Guillaume Siard : “Il est important parce que les lieux de rencontres initiés par les compagnies professionnelles des jeunes ballets sont plutôt rares. On donne un espace artistique aux jeunes danseurs : un plateau. C'est difficile quand on est un jeune ballet, particulièrement dans une école, de partir en tournée. Donc on avait envie de proposer à ce réseau notre plateau. On a aussi envie que notre public fidèle du Pavillon Noir découvre tous ces jeunes danseurs, qu’ils découvrent la qualité artistique et technique. Aussi, le centre national de la danse et le ministère de la culture co-organisent des tables rondes sur lesquelles nous allons parler de sujets très techniques, sur l’insertion professionnelle mais aussi sur la pédagogie.

FdD Francis Kurkdjian : Comment êtes-vous impliqué dans l’organisation de cet évènement ?

GS : “Je travaille sur le contenu pédagogique, notamment les masterclass. Je souhaite donner une philosophie à toutes ces rencontres. Je participe à toutes les réunions sur ces tables rondes, sur sa dynamique et ses thématiques. Puis avec Carole Redolfi qui est notre secrétaire générale travaillant sur la programmation, on a choisi ensemble les pièces qui allaient être présentées lors de ces rencontres. Et enfin, je fais le lien pédagogique avec tous les partenaires que je connais et que j'aurai plaisir de retrouver à Aix.”

FdD Francis Kurkdjian : Comment abordez-vous les conférences sur les sujets tels que le Bien-être du danseur ou encore la reconversion après une carrière de danseur ?

GS : “Sur le bien-être on peut parler même de santé, de conscience physique et ça on l’évoque avec eux tous les jours. Il y a des pôles santé dans les écoles supérieures parce que c'est quelque chose que l’on doit aborder tout le temps. Je pense qu’on échangera sur cela avec les professionnels du secteur, notamment par exemple sur la première année lors de l’arrivée des danseurs au ballet Preljocaj Junior. Quand le premier mois démarre, ressort toutes leurs blessures dues à un changement de rythme. Non pas que le rythme ne soit assez soutenu dans les écoles, mais parce qu’il est différent en compagnie. Quand on entre dans la vie professionnelle, durant la première année et les premiers mois, on n'est pas dans le même état que pendant 3 ou 4 ans dans la même école. On commence aussi à s'installer, et heureusement d'ailleurs, on est plus tranquille moralement. Alors que là, on veut faire ses preuves, on veut savoir si on avance bien, donc je pense que de là aussi ressort des problèmes physiques. On se préoccupera aussi de la préparation mentale qui est très importante chez les sportifs de haut niveau, et moins prise en compte chez les danseurs. Mais ça commence petit à petit. Par exemple au pôle supérieur de Cannes, ils font appel à un psychologue qui accompagne les étudiants. Je trouve que c'est une piste importante et intéressante.”

FdD Francis Kurkdjian : Faire partie du Ballet Junior Preljocaj décerne-t-il un diplôme ?

GS : “Les danseurs sont en alternance. Ils obtiennent à la fin de l'année le Diplôme National Supérieur Professionnel de Danseur (le DNSP), un équivalent licence. Pour cela, ils ont des enseignements pratiques comme la danse classique, danse contemporaine, composition, improvisation, mais aussi des cours d’histoire de la danse et de la musique. Ils ont également des cours sur l’anatomie qu’on appelle « l'analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé ». Cela permet de connaître les chaînes musculaires et d’où partent les mouvements. C’est assez intéressant aussi dans leur pratique et ça rejoint complètement les préoccupations de la santé physique du danseur. Il faut bien distinguer le fait que nous, Ballet Preljocaj Junior, sommes l’employeur et c’est le centre de formation des apprentis qui délivre le diplôme, s’ils réussissent tous les examens.”

FdD Francis Kurkdjian : Pouvez-vous nous décrire la journée-type d’un jeune danseur du Ballet Preljocaj Junior ?

GS : “La classe commence à 10h30 et dure 1h30. On appelle ça “classe de danse”. C'est l'échauffement mais c'est surtout la continuité de la progression technique. Les danseurs arrivent en général une demi-heure avant la classe pour se préparer.

Ensuite ils répètent de 12h15 à 14h00 et puis de 15h00 à 18h00. Voilà la journée type. On appelle ça « service » donc il y a 2 services, 2 répétitions, qui sont décalés dans la journée lorsque nous sommes en représentation. Ça c’est quand ils sont avec nous à Aix au Pavillon Noir.”

FdD Francis Kurkdjian : Chaque chorégraphie est notée, comme pourrait l’être une partition de musique, via la méthode Benesh. Comment utilisez-vous ce procédé pour ensuite apprendre la chorégraphie aux danseurs ?

GS : “C'est un choix d’Angelin Preljocaj depuis pratiquement le début de la compagnie, je crois en 1987. Cette idée d'écrire la danse est, non pas pour la figer, mais pour retrouver l'essence de ce qu'il a voulu créer. Les notateurs transmettent ce qu'ils lisent sur la partition et sans artifice. C'est complètement différent que de déchiffrer une vidéo. Par exemple, si vous avez la tête légèrement penchée, on pourrait se dire que c’est la chorégraphie. Or c'est peut-être qu’on a ce jour là un problème cervical qui fausse le résultat. Il y a plein de finesses comme ça qui déformeraient au fur à mesure l'interprétation. Angelin Preljocaj aime être assez fidèle, non pas à lui-même, mais à sa pensée originelle. Un notateur transmet une danse qui a été écrite donc il donne juste des indications comme un musicien déchiffrerait une partition. C’est surtout l'espace de liberté de l’interprète qui est le plus important avec la notation.”

FdD Francis Kurkdjian : Ces jeunes viennent de partout dans le monde, comment s’organise leur accueil et leur résidence en France ?

GS : “Ces jeunes sont surtout des danseurs européens. Chez nous au Ballet Preljocaj Junior, les danseurs viennent de toute l'Europe puisque les contrats d'apprentissage en France sont destinés aux danseurs qui ont un visa dans l'espace Schengen, donc citoyens de l'UE (Allemagne, Pays-Bas).

L’équipe d’accueil s’organise comme pour une tournée classique du Pavillon Noir qui recevrait une compagnie. On échange avec leurs responsables sur la logistique et l'hébergement, où ils ont un défraiement de l’hôtel. Finalement une vie de tournée habituelle pour notre équipe !”

FdD Francis Kurkdjian : À quel moment, un jeune danseur du Ballet Preljocaj passe du statut de non-professionnel à professionnel ?

GS : “Ça se fait progressivement. On les voit évoluer du mois de septembre jusqu’au mois de juin. Il y a une bascule en janvier où on se dit qu’en fait ils sont pré-professionnels. C’est aussi les sommes d’expériences professionnelles qui les construisent. Il y a également le moment du rejet de l’école. Ce n’est pas évident à gérer et en même on ne peut pas leur en vouloir. À ce stade, ils trouvent ça trop scolaire et on sent qu’il y a une maturité qui se construit. C’est la finesse de la relation avec les partenaires de formation de se dire comment ne pas s’offenser mais capitaliser sur cette maturité. Je crois qu’on devient professionnel tout au long de sa carrière. Être professionnel c’est continuer d’apprendre. On se construit tout le temps et c'est pareil en pédagogie. Moi c'est ce qui m'a toujours intéressé, que je sois danseur ou que je sois directeur pédagogique.”


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