Interview d’Angelin Preljocaj

5 avril 2024
Rencontre des ballets juniors européens

Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Angelin Preljocaj, vous vous présentez comme chorégraphe et danseur mais aussi comme un oiseau migrateur. Pourquoi ?

AP :Je suis né en France mais mes parents sont réfugiés politiques albanais, j’ai été conçu dans les Balkans. J’ai baigné toute mon enfance dans cette double culture. D’un côté, à l’école notamment, il y avait toute l’intelligence et la puissance des lumières de la France. De l’autre, c’était un monde beaucoup plus archaïque, avec des qualités et des traditions assez mystérieuses. C’est sur cette hybridation que s’est construit mon travail. Je m’en suis rendu compte assez tardivement, mais c’est une évidence. C’est en cela que je parle d’oiseau migrateur. Et aussi, parce que l’essence même dans mon métier, le spectacle vivant, c'est d'aller à la rencontre des publics, dans le monde entier. Avec bien sûr toujours un retour aux sources, qui est maintenant le Pavillon Noir, qui est un peu notre matrice. C’est là que les choses se créent, émergent, c’est le lieu de la fulgurance.


FdD Francis Kurkdjian : Vous avez initié la première édition des rencontres ballets juniors européens, pourquoi ce souhait ? Pourquoi vous ?

AP :Je me souviens très bien que pour moi la formation a été un moment très fort, et le fait qu’il y ait des lieux de création, c’était déjà important à l’époque. Aujourd’hui je voulais de la même manière, être un relais qui puisse correspondre à des étapes, à des moments que j’ai vécus moi-même en tant que jeune danseur. C'est ce que j’ai souhaité en créant le Ballet Preljocaj Junior, permettre cette transcendance, entre le moment où l’on passe du stade d'élève au stade d'artiste et interprète. Le cursus du Ballet Preljocaj Junior permet vraiment de passer ce cap, les jeunes y arrivent en tant qu’élèves, ils en ressortent en tant qu’artistes.


FdD Francis Kurkdjian : La création de cet évènement répond-il à un besoin du secteur ?

AP :Oui. Ce rendez-vous aixois fait suite aux rencontres entre écoles qui se sont déroulées fin 2023 au festival de danse de Cannes. Le projet de dispositif s’inspire de celui qui existe déjà en théâtre. L’idée est de permettre à de jeunes compagnies et de grandes écoles de montrer leur travail au public et de se rencontrer. Créer un événement amènera les spectateurs à les découvrir et à les considérer comme des artistes à part entière. Je milite pour la création de postes pérennes en danse contemporaine.

Et puis bien sûr plus largement, l’idée de mettre en lien ces jeunes danseurs renvoie à la notion du groupe, de tribu artistique. C’est une valeur importante chez nous.

Travailler au sein d’une compagnie, consiste à se connecter aux autres, à travailler sur le lien, pas seulement sur l’individualité. Pour un jeune danseur, c'est important d'avoir cette conscience aiguë du travail de collaboration et du lien avec les autres.


FdD Francis Kurkdjian : En quoi les Rencontres des Ballets Juniors Européens est un événement inédit ?

AP :En proposant à la fois des spectacles, des tables rondes et des master classes, cette édition permet de consolider tout un réseau de formation et d’insertion professionnelle, de faire rayonner le travail de toutes ces écoles supérieures et jeunes ballets, et bien sûr de faire découvrir aussi les talents de demain.

On remarque que 95% des danseurs qui sont passés par le Ballet Preljocaj Junior, depuis sa création en 2015, ont trouvé du travail dans des compagnies, que ce soit en Europe ou ailleurs. L’information s’est répandue, et on voit arriver des jeunes de toute l’Europe à chaque audition. C’est une garantie importante pour un jeune interprète.

FdD Francis Kurkdjian : Quand vous étiez au stade de danseur non professionnel, comment ça s’est passé pour vous ?

AP :J’ai été pris à la Schola Cantorum par Karin Waehner qui m’a accueilli et qui m’a quasiment formé à la danse contemporaine. Ensuite je suis parti à New-York où j'ai rencontré le travail de Merce Cunningham, c’était formidable. Quand je suis rentré, je suis allé au CNDC à Angers dirigé alors par Viola Farber.

Puis la rencontre avec Dominique Bagouet a été très importante pour moi, mais plutôt du côté création que du côté formation et apprentissage. J’étais interprète, son assistant et j’ai pu travailler tout près de sa créativité. Ça m’a mis le pied à l’étrier et le plaisir de créer moi-même des ballets. C’est d’ailleurs l’enjeu des rencontres des ballets juniors européens : prendre du recul. Même quand on est dans une formation, on est dans un petit monde, donc c’est bien de rencontrer les autres petits mondes. C’est prendre de la hauteur.

FdD Francis Kurkdjian : Les élèves du Ballet Preljocaj Junior peuvent-ils être sélectionnés pour intégrer le Ballet Preljocaj ?

AP : Oui, chaque année il y a toujours un ou deux danseurs sélectionnés pour rejoindre le Ballet Preljocaj. Le Ballet Junior est devenu une sorte d’anti-chambre du Pavillon Noir. ”


FdD Francis Kurkdjian : La formation du Ballet Junior Preljocaj est-elle diplômante ?

AP :Bien sûr et c’est très encadré. La formation englobe plusieurs paramètres dont les apports artistiques et théoriques sont quantifiés et diplômants. Les jeunes du Ballet Junior sont en contrat d’apprentissage durant 11 mois et valident à l’issue leur DNSP (Diplôme national supérieur professionnel de danseur auprès du PNSD Rosella Hightower de Cannes Mougins, école partenaire. Guillaume Siard, directeur de la pédagogie au Ballet, pourra vous en parler plus en détail.


FdD Francis Kurkdjian : Les sujets qui seront traités lors des conférences tels que : le bien-être du danseur ou les reconversions possibles après une carrière de danseur, sont-ils des sujets sensibles généralement peu évoqués ?

AP : Jusqu’à présent, je trouve qu’on n’a peu insisté auprès des jeunes danseurs sur la préparation et l’après-danse. Je crois que c’est très important, car cela permet une sérénité aussi quand on avance en âge, de se dire qu’à un moment on arrêtera.

Et en même temps je me suis rendu compte qu’on pouvait aussi faire beaucoup de choses avec les personnes plus âgées. Il y a quelque chose de très beau dans le corps âgé, le corps habité par une maturité de la vie.


FdD Francis Kurkdjian : Qu’attendez-vous de cette première édition ?

AP : J’espère qu’elle sera un succès. Que le public sera au rendez-vous, ainsi que les professionnels, qu’elle consolide le réseau de la formation.


FdD Francis Kurkdjian : À quel rythme, pensez-vous réitérer l’événement ?

AP :J’aimerais le faire chaque année. Là, c'est un peu la base du ciment qui peut faire grandir le projet. Ce sont des rencontres fortuites mais on aimerait que ce soit des rendez-vous annuels.


FdD Francis Kurkdjian : La présence du public est importante pour donner un enjeu aux représentations qui auront lieu le soir ?

AP :Oui c'est ça ! C’est le moteur du spectacle vivant. C'est se donner en spectacle dans le bon sens du terme. Montrer une expérience artistique, la partager avec un public. Le public est comme une forme de révélateur, comme en photographie. Tous les contrastes apparaissent et on comprend alors la photo que l'on a faite. Là c'est un peu la même chose. Pour la compagnie, tant qu’on n’a pas donné la première représentation, on ne sait pas très bien ce qu’on est en train de fabriquer. Quand on est sur scène, on ne sait pas si le public est ému, s’il est intéressé ou intrigué. C’est seulement à la fin, au moment des saluts et des applaudissements qu’on voit l’intensité de ce qu’il s’est passé.


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