Entretien avec Éric Minh Cuong Castaing, fondateur de la Compagnie Shonen

1 juillet 2025
_p/\rc_

Fonds de dotation Francis Kurkdjian : Pouvez-vous nous rappeler les fondements du projet p/\rc et la particularité de cette édition ?
Eric Minh Cuong Castaing : Le projet p/\rc est né d’une commande du Théâtre du Châtelet, en collaboration avec Ruth Rosenthal et Jérôme Chaumond. Le sujet de la téléprésence nous intéressait déjà profondément, et nous avions précédemment mené un projet plus intime, L’Âge d’or, avec des enfants atteints de troubles moteurs.

Notre travail explore depuis longtemps la relation entre technologie et mouvement humain dans le champ chorégraphique. Avec p/\rc, il s’agissait d’imaginer comment un lieu aussi symbolique que le Théâtre du Châtelet, avec ses 2000 places, pouvait devenir un espace accueillant pour toutes les motricités et transformer notre rapport à la performativité scénique.

Nous avons donc créé une pièce-manifeste : une sorte de parc chorégraphique où se rencontrent danseurs professionnels, enfants en situation de handicap, et performeurs adultes pilotant des robots de téléprésence. Le but était de montrer comment ces corps, souvent invisibilisés, peuvent devenir pleinement acteurs de l’expérience artistique.”

FddFK : Et après le Châtelet, est-ce que le projet a évolué ?
EMCC : Le Théâtre du Châtelet n’est pas un lieu de résidence. Il a donc fallu repenser toute notre organisation pour que les enfants soient préparés ailleurs, dans leurs établissements respectifs. Il fallait aussi que ce projet soit reproductible ailleurs, ce qui signifie concevoir un programme adaptable à d'autres scènes, souvent peu accessibles aux artistes en situation de handicap.

La rampe d’accès, conçue pour que les enfants et les danseurs arrivent par le même chemin que le public, est un symbole fort de cette volonté d’inclusion. Elle a influencé l’ensemble de la dramaturgie : le public entre, monte progressivement sur scène, et vit une véritable immersion.”

FddFK : Est-ce que les objectifs de p/\rc ont-ils eux aussi évolué depuis sa création ?
EMCC : Pas fondamentalement. Mais chaque nouvelle édition interroge à nouveau les modalités d’inclusion. À Nantes, par exemple, un partenaire a insisté pour que tous les enfants soient présents sur scène, même ceux dont le poids ou les capacités motrices rendaient cela compliqué. Cette demande a modifié la dramaturgie, enrichi le projet, et renforcé notre engagement pour une inclusion totale.

Le fait de jouer à l’extérieur, lors des Olympiades culturelles ou dans des parcs publics, a aussi changé les choses : le spectacle croise alors des passants non avertis. Cela crée des situations de découverte très fortes. Certaines personnes nous disent ensuite : « C’est étrange, mais cette danse semble tellement naturelle. » Ce genre de retours est précieux.”

FddFK : Quelles ont été les étapes clés depuis le lancement du projet ?
EMCC : La création au Châtelet a été un jalon majeur, bien sûr. Mais les récréations à Nantes (au lieu unique) et à Rennes (au Théâtre National de Bretagne) ont permis de vérifier que la pièce était modulable, réadaptable à différents contextes, différents enfants, différentes configurations.

Chaque récréation implique un travail au long cours, parfois sur plusieurs mois, dans les centres d’accueil. Cela suppose d’accepter que certains enfants changent d’avis au dernier moment. Ce n’est pas grave, cela fait partie du processus. L’important est de construire un espace d’accueil artistique et humain, sans injonction.”

FddFK : Quels retours avez-vous reçus des enfants, danseurs et familles ?
EMCC : Les retours sont très forts. Il y a un impact physique, mesuré par les soignants : amélioration de la motricité, conscience du geste, éveil sensoriel. Mais il y a aussi un impact symbolique, presque thérapeutique, même si ce n’est pas notre objectif.

Des adolescents nous ont dit à quel point cela change leur image d’eux-mêmes. Un parent m’a confié que sa fille, depuis la performance, regarde enfin les gens dans les yeux. Ce sont des choses simples, mais puissantes. Ces enfants vivent une vraie expérience d’art, avec fierté, plaisir et reconnaissance.”



FddFK : Est-ce important pour vous de jouer sur de grandes scènes comme l’Opéra de Massy ?
EMCC : Oui, pour des raisons logistiques, mais aussi symboliques. Jouer dans ces lieux implique de transformer leurs contraintes pour les rendre accessibles. Il faut parfois convaincre les équipes techniques d’investir dans des aménagements pérennes. Mais c’est un enjeu de société. Cela dépasse notre seule compagnie.

Le projet p/\rc s’exporte aussi à l’international, par exemple à Tunis, au festival Dream City. Faute de moyens techniques, nous avons proposé une transmission. Nous avons formé des danseurs tunisiens à la danse contact et à la danse prothèse. Pas de robot de téléprésence cette fois, mais un véritable échange de pratiques, sans signature de la Compagnie Shonen. On ne cherche pas à capitaliser sur le projet, mais à faire circuler les idées.”

FddFK : Quels impacts le projet a-t-il sur les perceptions de l’inclusion ?
EMCC : Nous avons dansé avec une trentaine d’enfants par récréation. Les équipes soignantes, les kinés, les éducateurs, les parents… tous participent à l’expérience, et en repartent transformés.

En 2026, un documentaire long format réalisé par Alicia Harrison pour Arte reviendra sur cette aventure. Il montrera en profondeur ce que signifie créer un tel projet : les relations humaines, les adaptations, les contraintes, les surprises.”

FddFK : Quelles sont les perspectives d’avenir pour p/\rc ?
EMCC : Nous allons créer une nouvelle version au sein du musée Collection Lambert à Avignon, en repensant p/\rc dans un espace muséal. Il y aura également une recréation au Festival de Marseille, une autre en région parisienne, et un projet ambitieux pour Bourges 2028, dans le cadre de la Capitale Européenne de la Culture.

L’idée : un p/\rc itinérant, passant par Genève, Bourges, et un autre pays. Avec, à chaque fois, une circulation des enfants, des danseurs, des pratiques. Et surtout, une autonomie croissante des interprètes, qui pourront mener les ateliers sans ma présence.

C’est pour moi une manière de transmettre, en cohérence avec mon parcours : je viens de la banlieue nord, du hip-hop, j’ai dansé dans des gymnases, dans des lieux non consacrés. Je crois profondément à l’idée que cette danse peut être partagée, transmise, vécue simplement, par tous.”

Se tenir informé(e) de l’actualité du projet